PREFACE de Bertrand Méheust à l'ouvrage de Marie-Christine et Yves Lignon : "MEDIUMS : LE DOSSIER"

Dans une préface à un ouvrage de Jocelyn Morisson j'avais écrit que l'on ne fera jamais assez de bons livres pour rétablir dans l'esprit d'un public mal informé ou désinformé l'histoire véritable de la métapsychique. Marie-Christine et Yves Lignon semblent avoir entendu mon appel, car les voici de retour avec une contribution de qualité à ce travail de mémoire.

La métapsychique est comme le tricot de Pénélope, elle se défait à mesure qu'on la fait, sous la pression sociale qui s'exerce sur elle, et il faut sans cesse la retricoter. L'amnésiecollective la menace en permanence. Le nombre de gens qui, en France, savent réellement de quoi il retourne reste trop faible pour que s'amorce un retournement de la tendance. Cette situation est inévitable, puisque nous avons affaire à un sujet qui, officiellement, n'existe pas, et qui, de ce fait, ne s'enseigne pas : pour l'étudier, il faut prendre sur soi, pendant de longues années, sans autre motivation que la passion de comprendre, sans l'illusion que ce savoir puisse déboucher sur une récompense sociale. Il ne faut donc pas s'étonner s'il existe peu de chercheurs capables de condenser dans un petit volume la masse d'informations et de réflexions susceptibles d'informer le grand public sur l'état de la question.Marie-Christine et Yves Lignon font partie de ce petit groupe de spécialistes. Une longue fréquentation de la recherche psychique leur permet de survoler le sujet et de poser leur regard sur les points clé. Ils ont le coup d'œil sûr et savent discerner dans la masse des informations les faits pertinents et avérés. Ces qualités suffiraient déjà à recommander la lecture de leur nouveau livre

Écrit dans une langue claire et dans un style alerte, derrière lequel on devine la faconde méridionale et l'accent de Toulouse, avec juste ce qu'il faut de distance ironique et de petits coups de griffes, l'ouvrage se présente explicitement comme une "galerie de portraits" des grands médiums qui ont marqué l'histoire des sciences psychiques. Des Sœurs Fox jusqu'à Maud Kristen, en passant par Douglas Home, Stephan Ossowiecki, Rudi Schneider, Rosemary Brown ou Joe Mac Moneagle, et sans oublier les escrocs patentés comme Pasquale Erto, on a un échantillonnage significatif de ces personnages énigmatiques sur lesquels repose une partie du savoir que nous avons acquis dans le domaine du paranormal. On découvre leurs biographies, les phénomènes qu'ils produisent, leur façon d'opérer, les inévitables polémiques dans lesquelles ils ont été plongés. On s'aperçoit aussi de la variété déconcertante des phénomènes qu'ils sont censés produire. Rosemary Brown, pianiste et musicienne médiocre, écrit sous la dictée médiumnique des pièces inédites de Liszt, comme si elle prolongeait l'œuvre du maître, pour le plus grand étonnement des musicologues. Stephan Ossowiecki visite le passé ou le futur comme un voyageur temporel. Rudi Schneider fait sortir de son corps une force ectoplasmique qui semble agir sur les objets environnants. Jean-Pierre Girard (à qui il est arrivé de ne pas tricher) modifie la structure de métaux placés dans des éprouvettes inviolables. Uri Geller, contrairement à la rumeur qui fait de lui un simple prestidigitateur, a réellement donné la preuve qu'il pouvait tordre des cuillers en se contentant de les effleurer.Ted Serios imprime sur la pellicule d'un polaroïd d'étranges paysages mentaux. Joe Mac Moneagle, avec le seul support abstrait de coordonnées, se porte mentalement sur le lieu qu'on lui désigne et parvient ainsi à en donner une description extrêmement précise. Mais Pasquale Erto cache sous son prépuce le petit morceau de ferrocérium avec lequel il va produire certains effets spéciaux qui vont (mais pas longtemps) abuser les enquêteurs… Entre ces hommes et ces femmes prodiges, un point commun : la capacité de malmener les bornes du réel, une capacité à laquelle les savants et les philosophes devraient être attentifs, et que pourtant ils persistent à ignorer.

À cette galerie de portraits, il est inutile d'objecter qu'il manque telle ou telle grande figure : l'ouvrage ne prétend évidemment pas à l'exhaustivité, son propos est de donner au lecteur un aperçu de la diversité des médiums et de leurs dons présumés. Inutile également de reprocher aux auteurs l'emploi très large qu'ils font du terme de médium : leur but est manifestement pédagogique, il s'agit de regrouper sous ce terme connu de tous la diversité des expériences paranormales. Ce qui compte, c'est la qualité et le choix des informations qui sont données au lecteur.

Quand il fermera le livre, ce dernier saura faire la différence entre le noyau dur des faits médiumniques et les amplifications médiatiques ou hollywoodiennes. Il aura une idée précise et fiable de ce que sont les médiums et de la nature des phénomènes qu'ils produisent. Il aura également pris la mesure des résistances que la société contemporaine oppose à l'admission des faits paranormaux. Et il pourra être sûr que tout ce qui est avancé aura été trié, filtré et vérifié, par des gens qui savent de quoi ils parlent.

 

Sur le fond, il y aurait, comme toujours, de nombreuses remarques à faire. Je me contenterai ici de commenter la polémique qui traverse la question du paranormal, car je sais que c'est une question à laquelle Yves Lignon est très attaché. Le côté ramassé de ce livre permet de mieux discerner le retour constant de la polémique, ainsi que sa fonction sociologique. La chose se reproduit d'une manière répétitive depuis les commissions sur le magnétisme animal, c'est-à-dire qu'elle remonte à la Révolution française. À chaque fois qu'un nouveau médium perce, à chaque fois que des expériences semblent authentifier les phénomènes allégués, les mêmes arguments ressurgissent, de façon lassante et presque comique. Un nouveau médium, donc, défraye la chronique. Il est soumis à des contrôles. Des contrôles forcément insuffisants dans les premiers temps, car il faut bien commencer, mais qui peu à peu vont s'améliorer et devenir impitoyables. (C'est un des mérites du livre des Lignon, que d'avoir montré les précautions que prirent, pour étudier Eusapia Paladino ou Rudi Schneider, les chercheurs de l'Institut général psychologique et de l'Institut métapsychique. Quant on prend connaissance de ces précautions, on mesure l'écart qui sépare le travail des métapsychistes des rumeurs de laxisme propagées par les rationalistes et les zététiciens.) Des précautions, donc, sont prises, qui ne laissent aucune place à la fraude, à moins de renoncer à toute raison ou de considérer comme des complices toutes les personnes présentes, c'est-à-dire, dans le cas de l'Institut général psychologique, Bergson, Pierre et Marie Curie, d'Arsonval, etc., bref des figures de l'élite de l'époque. Malgré ces précautions, notre médium produit des phénomènes qui sont observés et consignés, et parfois enregistrés par des appareils. Mais voici les sceptiques, qui examinent les protocoles comme les gendarmes épluchent vos papiers et votre voiture le jour où ils ont décidé de verbaliser. Comme il ne peut exister de contrôle absolu, rien d'humain n'étant parfait, on trouvera toujours un détail, un oubli, une imprécision dans le protocole, une fêlure par laquelle le doute pourra s'infiltrer. Ce détail sera démesurément grossi et livré à l'opinion publique par certains média complaisants. Comme la plupart des gens n'ont pas le loisir d'étudier ces affaires en profondeur - et on ne saurait leur en faire le reproche - ils croient ce qu'on leur dit, ils écoutent l'opinion autorisée. Malheureu-sement, il faut le savoir, l'opinion autorisée, en France particulièrement, est captive. Admettre publiquement que des faits comme la télékinésie ou la clairvoyance pourraient exister et méritent d'être étudiés, c'est prendre le risque de briser une carrière universitaire, ou de ne plus être invité dans les émissions prestigieuses. À de rares exceptions près, les intellectuels faiseurs d'opinion ne sont pas des héros, ils tiennent par dessus tout à la place enviable qu'il occupent, et ne prennent pas le risque de contredire la contre rumeur rationaliste, qui, du coup, se trouve explicitement ou implicitement avalisée et acceptée par le plus grand nombre. Moyennant quoi, le travail des métapsychistes finit par sombrer dans l'oubli, tandis que la contre rumeur sceptique, qui dispose d'une caisse de résonance bien plus puissante, reste gravée dans les esprits. C'est ainsi que, depuis la Révolution, les polémiques suscitées par les exploits des somnambules et des médiums s'enlisent et ne parviennent jamais à briser l'enceinte protectrice qui empêche notre société de prendre acte de cette face cachée du monde. Cela dure, je le répète, depuis 1784. À chaque fois qu'émerge un nouveau sujet psi, la polémique renaît, dans les mêmes termes, comme si l'on n'avait jamais rien appris, et tout l'arsenal habituel est convoqué. Au point que l'on peut prévoir l'évolution d'une controverse. Au point que l'on pourrait décrire la structure de la polémique métapsychique comme Thomas Kuhn a décrit la struc-ture des révolutions scientifiques. Cette régularité mécanique finit par devenir comique et par saper les arguments sceptiques. Il n'est pas possible que partout, toujours, depuis plus de deux siècles, les innombrables expérimentateurs aient été dupés ; que tous les médiums, partout et toujours, aient été des prestidigitateurs ; qu'une conspiration visant à saper les fondements de la Raison ait travaillé dans l'ombre à truquer les résultats à chaque fois que des expériences ont paru réussir. De telles conspirations relèvent de la mythologie et nous avons peu de chances de les rencontrer dans la réalité. En revanche, cet éternel retour du soupçon met à nu les dispositifs par lesquels notre société neutralise une dimension du réel qu'elle ne peut accepter. À force d'insister et de se répéter, la contre rumeur rationaliste finit par apparaître comme un processus mécanique, comme une sorte de tropisme social à fonction prophylactique. Une fois que l'on a compris cela, on ne se laisse plus impressionner et retarder par les arguments invoqués, on va de l'avant. Malheureusement cette prise de conscience ne concerne que le petit groupe de chercheurs qui, dans notre pays, en attendant des jours meilleurs, s'efforcent de maintenir et de transmettre aux générations futures le dossier et le questionnement de la métapsychique. Le grand public et le monde intellectuel continuent d'être englués dans cette ancienne polémique. C'est pourquoi des livres comme celui de Marie-Christine et Yves Lignon sont précieux.

La galerie de controverses que nous font visiter les auteurs montre aussi la difficulté que les métapsychistes éprouvent à faire entendre et valider une épistémologie différente, point crucial sans lequel la discussion est condamnée à tourner en rond. Depuis les débuts des sciences psychiques, et même depuis les controverses du magnétisme animal, les fondateurs des sciences psychiques ont proposé des principes nouveaux, l'idée centrale étant que la méthode ne doit pas être imposée à l'objet, mais tirée de celui-ci. C'est par exemple ce qu'expliquait Bergson dans le discours fameux qu'il donna en 1913 à la S.P.R. Mais la leçon n'a jamais pu sortir des cercles spécialisés, et l'on continue, avec souvent la plus parfaite mauvaise foi, à exiger des phénomènes paranormaux qu'ils satisfassent aux critères de la physique. Si un voyant réussit parfois, il doit réussir toujours. Si un médium triche parfois, c'est qu'il triche toujours. Comme les voyants ne réussissent pas toujours, et comme certains médiums trichent parfois, si l'on reste sur cette base de raisonnement la question est réglée. Mais, comme je l'avais montré dans mon livre sur Alexis Didier, c'est là commettre une grossière erreur de raisonnement, qu'il n'est pas trop difficile de démasquer, et cela en restant dans le domaine des sciences de la nature les plus acceptées. Si les sondes spatiales que l'on enverra un jour ou l'autre ne trouvent pas de vie sur Europe, cela ne prouvera nullement qu'il n'y a pas de vie dans l'espace. En revanche, si on en trouve, il deviendra très difficile à ceux qui affirment le caractère unique ou exceptionnel de la vie, de soutenir que le gros lot a été tiré deux fois de suite dans un minuscule système solaire, et du coup la probabilité que la vie est répandue dans l'espace s'en trouvera démesurément agrandie, pour ne pas dire acquise. Autrement dit, quand nous avons affaire aux phénomènes dits paranormaux, dès lors que nous possédons déjà sur ces phénomènes un corpus exhibant des constantes, des structures, les échecs et les réussites n'ont pas la même valeur, il n'y a pas symétrie de l'argument. Pourquoi refuserait-on aux métapsychistes ce que l'on accepte dans d'autres domaines ? Pourtant, la galerie des controverses que nous présentent Marie-Christine et Yves Lignon montre clairement qu'avec la plus parfaite mauvaise foi et/ou la plus totale irréflexion on a constamment voulu appliquer aux phénomènes médiumniques des critères de vérité qui ne pouvaient que les faire s'évanouir comme neige au soleil.

Bertrand Méheust

Bertrand Méheust enseigne la philosophie. Docteur en sociologie, il est membre associé du groupe CNRS Psychanalyse et pratiques sociales, et membre du comité directeur de l'Institut métapsychique international. Derniers ouvrages parus : Science-fiction et soucoupes volantes (Terre de Brume, 2007) et Histoires paranormales du Titanic (J'ai lu, 2006). Site : http://bertrand.meheust.free.fr

1 - La Voyante et les scientifiques (Les 3 Orangers, 2004).

2 - Un bon exemple de ce que j'avance est fourni par la réception du livre de Charpak, Devenez sorciers, devenez savants. Dans les nombreuses recensions qui en ont été données, il ne s'est pratiquement trouvé aucun journaliste (à l'exception notable de Michel Pollack), même dans la presse haut de gamme, pour relever l'évidente ineptie de l'ouvrage. De même il ne s'en est trouvé aucun pour signaler, ne fût-ce que dans une note en bas de page, l'existence de ma lettre à Charpak, Devenez savants, découvrez les sorciers. Je peux même révéler qu'un professeur des Hautes études m'avait consacré un long article, qu'il avait envoyé au Figaro, où il avait ses entrées, et qu'il s'est heurté à un refus embarrassé.

3 - Lorsque Jacques Benvéniste a publié les résultats de ses fameuses expériences sur ce que les journalistes ont appelé la "mémoire de l'eau" (c'était en juin 1988), j'ai fait le pari devant des amis qu'il aurait la visite du fameux illusionniste James Randi - l'homme de main des sceptiques américains - à l'automne. Le seul point où je me suis trompé, c'est que l'on n'a pas attendu l'automne. Le commando de Randi a débarqué dans le laboratoire de Benvéniste au début de l'été, avant même que d'autres chercheurs qualifiés aient tenté de reproduire les expériences mises en cause.

4 - Un voyant prodigieux, Alexis Didier (Les Empêcheurs de penser en rond, Paris, 2003, troisième partie).

 

 

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