L'HOMÉOPATHIE ET LA MÉMOIRE DE L'EAU

Source : Les dossiers scientifiques de l'étrange, chapitre 21, 1999

Ce chapitre a été écrit en utilisant, entre autres, la documentation fournie par les articles d'Eric Fottorino, publiés dans "Le Monde" daté 21, 22 et 23 janvier 1997, et le contenu d'entretiens privés avec Jacques Benveniste.

C'est un film comique ou une histoire de fous ou les deux à la fois, au choix. C'est une comédie tragique par certains de ses côtés et il faudrait Molière pour dépeindre exactement tous les Vadius et les Trissotin, surtout tous les Tartuffes qui y ont tenu les premiers rôles. Et, de même qu'un meurtre commandité par des mafieux peut se dissimuler derrière un accident, le débat autour des résultats d'une expérience a servi de prétexte à des échanges d'insanités. On entendra, dans un camp, le célèbre Prix Nobel Georges Charpak déclarer qu'il ne participera à une tentative de reproduction de l'expérience qu'en dehors de la présence de toute personne ayant serré la main du leader de l'autre camp, Jacques Benveniste, au cours des trois derniers mois et celui-ci répondra que son contradicteur aurait refusé l'aviation même en assistant à l'envol de Blériot. Après dix ans d'affrontements dont l'échange ci-dessus donne à peine une idée il reste au moins une certitude : le nom de la principale victime, Jacques Benveniste, justement, l'auteur de l'expérience si controversée, dont le laboratoire à été fermé.


L'expérience en question a un rapport direct avec l'homéopathie, plus exactement avec les médicaments homéopathiques. Le principe de fabrication de ces remèdes est assez simple. Essayons de le comprendre en nous appuyant sur une métaphore. Admettons qu'un morceau de sucre soit composé de 10 000 grains. Si je le fais fondre dans un verre d'eau, en mélangeant soigneusement, ce premier verre contient les 10 000 grains. J'ajoute de l'eau en quantité suffisante pour pouvoir remplir deux verres qui, toujours après mélange, contiendront chacun approximativement 5 000 grains. Je retourne chercher de l'eau car je veux pouvoir utiliser 4 verres dans chacun desquels se trouveront de cette façon en moyenne 2 500 grains. Et ainsi de suite. Quand je parviendrai à 10 000 verres il n'y aura plus qu'un seul grain dans chacun et si je continue encore très longuement la dilution deviendra telle que mes verres ne contiendront plus de sucre.


En homéopathie on procède ainsi mais en employant des molécules à la place du sucre. A force de dilution les molécules "disparaissent" mais leur activité demeure, du moins à ce que prétendent les homéopathes. Pour revenir à mon exemple il n'y a plus de sucre, c'est certain, et pourtant en buvant l'eau on lui trouve un goût sucré. A partir de 1982 Jacques Benveniste a réalisé des expériences allant dans ce sens, donc favorables à cette théorie si controversée qu'est l'homéopathie. Il en a publié les résultats en 1988 et c'est alors que la dispute a commencé ou, si vous préférez, que le scandale, le scandale énorme, a éclaté. Tout cela se terminant par ce que Michel Schiff, chercheur au CNRS, a nommé "Un cas de censure dans la science", titre du livre qu'il a fait paraître, en 1994, aux éditions Albin Michel.


Au moment où les trois coups vont être frappés Benveniste n'est pas n'importe qui. Bachelier à 15 ans, Docteur en Médecine, entré dans la carrière scientifique en 1969, aux Etats-Unis, ses recherches ont permis une découverte essentielle, celle d'une molécule nommée PAF - Acether qui joue un rôle dans le déclenchement de certaines crises d'asthme. Chercheur dont les travaux font référence il est unanimement connu et apprécié dans son milieu où l'on murmure de plus en plus que le Prix Nobel pourrait bien lui être attribué. C'est ce savant prestigieux qui, un jour de juin 1988 monte à la tribune du Congrès d'Homéopathie de Strasbourg. Les mots qu'il va prononcer lui vaudront très vite d'être couvert d'insultes (cité par Eric Fottorino le Professeur Marcel-Francis Kahn, de l'hôpital Bichat, parlera à son propos de délire psychotique) avant de se retrouver au ban de la science sous l'accusation d'avoir "déshonoré la science française en trafiquant ses résultats avec la complicité des techniciens de son laboratoire" (Eric Fottorino). Sans doute pensez-vous que la rigueur, le bon sens et avant tout l'honnêteté font qu'une mise en cause d'une telle gravité s'appuie sur des preuves éclatantes ? Point du tout, rien de concret n'a pu être avancé à l'encontre de Jacques Benveniste et, à fortiori, il n'existe pas le plus petit élément de flagrant délit. Il n'y a que soupçons sans éléments matériels mais commençons par le commencement.


En regagnant sa place, au milieu des congressistes de Strasbourg, Benveniste a certainement remarqué de tous côtés des sourires de satisfaction. Ce qu'il venait de raconter ne ressemblait ni à un conte de fées, ni aux paroles d'une chanson à la mode. Il s'était contenté de résumer le contenu d'un article qui, sous sa signature et celles de plusieurs de ses collaborateurs, allait être publié prochainement dans les colonnes de "Nature", une très importante revue scientifique britannique. Un anticorps avait été dilué dans l'eau jusqu'à ce que ses molécules disparaissent mais mises en présence de cette eau des cellules sanguines, les basophiles, avaient réagi comme si l'anticorps était toujours là. Ces expériences avaient été réalisées en commun par le laboratoire de Jacques Benveniste, l'unité 200 de l'INSERM(1) à Clamart, près de Paris, et trois autres équipes installées respectivement au Canada, en Israël et en Italie.


Si tout était exact la communauté scientifique se trouvait face à une découverte fabuleuse : sans contenir de molécules l'eau pourrait produire un effet moléculaire. Voilà qui apportait, certes, des arguments aux défenseurs de l'homéopathie mais allait infiniment plus loin, jusqu'à la remise en question radicale de tout ce que la science avait appris à propos de la matière en général depuis 200 ans. En utilisant une expression imagée, pour mieux se faire comprendre, Benveniste allait aggraver sérieusement son cas. Il parla de mémoire de l'eau. "Tout s'est passé, expliqua-t-il, comme si l'eau se souvenait de la molécule". Et pour se souvenir il faut posséder une conscience.


Une règle scientifique essentielle - et c'est une très bonne règle - impose que les résultats d'une première expérience ne soient acceptés et reconnus pour vrais que si ces résultats sont obtenus à nouveau par des laboratoires indépendants de celui qui, le premier, a annoncé ce qu'il appelle une découverte. En présence de conclusions remettant en cause les bases mêmes de la biologie il fallait logiquement s'attendre à ce que d'autres chercheurs se précipitent, et d'abord en France puisque c'est de France que venait la nouvelle. John Maddox, le rédacteur en chef de "Nature" ne pensait pas autrement, du moins en apparence, en rédigeant les quelques lignes accompagnant l'article incriminé à l'occasion de sa parution, le 30 juin 1988. Cet avertissement se terminait par : "Il faut se demander avec plus de soin encore que d'habitude si l'observation n'est pas incorrecte".


Nous sommes d'accord. Un scientifique ne peut qu'être d'accord. Sous la réserve, toutefois, de s'entendre sur la définition d'une observation incorrecte. Il en existe, mais oui, deux sortes. Celles qui sont incorrectes par suite d'une erreur des expérimentateurs, celles qui ne le seraient pas mais qui le deviennent parce qu'elles ont reçu un coup de pouce. Par les temps qui courent on trouve quand même des tricheurs plus facilement dans certaines arrière-salles enfumées que dans les laboratoires. Il semble donc que la phrase de Maddox ne puisse s'interpréter que d'une seule manière : une observation incorrecte, en matière scientifique, équivaut généralement à un but contre son camp au football. Il y a maladresse, faute technique, incompétence ou ce que l'on voudra du même tonneau mais non trahison. Finalement Maddox se contentait de rappeler une évidence, à savoir que le soin apporté à la réplication d'une expérience doit être à la hauteur de l'importance de l'enjeu.
Voire. Celui qui a été soigné ici c'est Benveniste lui-même. Un comble pour un médecin. D'entrée un célèbre Prix Nobel de Médecine, François Jacob, se chargea d'indiquer aux violons sur quel ton ils devaient jouer l'air du coup de trique. Tranquillement installé dans ses certitudes il affirma que les expériences en cause ne pouvaient réussir puisqu'avec la dilution il n'y a plus de molécules alors que la physique et la chimie disent qu'il en faut. Bel exemple de confiance, peut-être même de croyance primaire, en une science qui détiendrait des vérités définitives et irréfutables et n'aurait plus besoin de se remettre en question. Confiance que ne partagent malheureusement pas ceux qui, sans être Prix Nobel, regardent un peu vers le passé. Dans son dernier cours, le 24 juin 1925, Charles Richet s'est amusé à aligner les noms d'auteurs de découvertes fondamentales rejetées par leurs collègues. Le Professeur Chauvin raconte souvent la lamentable histoire de Semmelweiss, un médecin viennois qui s'aperçut, vers 1850, de la nécessité de la propreté en milieu hospitalier et, voulant imposer des mesures d'hygiène élémentaire, fut l'objet d'une telle cabale qu'il en mourut fou. N'oublions ni toutes les bêtises racontées à l'occasion des premiers voyage en chemin de fer, ni le physicien Esclangon expliquant, il y a moins de 50 ans, comment et pourquoi aucun être humain ne pourrait vivre dans un satellite tournant autour de la terre. Songeons surtout à Charles Cros, le doux poète de Fabrezan, ignominieusement traité de ventriloque lorsqu'il a présenté le premier tourne-disques à l'Académie des Sciences. Quand au jugement des Prix Nobel eux-mêmes voici non pas un mais deux contre-exemples : le physicien John Strutt, futur Lord Rayleigh, (lauréat en 1904) a déclaré que ceux qui cherchaient à faire voler un engin plus lourd que l'air perdaient leur temps et le chimiste Ernest Rutherford (couronné en 1908) qualifiait de conte à dormir debout l'idée que l'on puisse utiliser l'énergie nucléaire. Après quoi, moins de cinquante ans plus tard, un avion porteur d'une bombe atomique s'est dirigé vers Hiroshima.


Toutes ces bavures - bref extrait tiré d'un important florilège - ne prouvent en rien que Benveniste a raison mais elles rendent incompréhensible et inacceptable l'attitude de ceux qui se contentent de clamer avec autorité : "Ce n'est pas possible en l'état actuel de nos connaissances, c'est donc définitivement impossible.".
Toujours est-il que, libérées par ce genre de signal donné au plus haut niveau, les passions pouvaient se déchaîner. Elles ne s'en privèrent pas. Le deuxième acte débuta par l'annonce de la venue à Clamart de John Maddox en personne. Les naïfs crurent, durant quelques instants, que le rédacteur en chef de "Nature" venait s'enquérir, auprès de Benveniste, d'informations complémentaires permettant d'inciter d'autres laboratoires à tenter de reproduire l'expérience. Pas question. Maddox arrivait en enquêteur soupçonneux accompagné de deux spécialistes auto-proclamés de la chasse à ce qu'ils appellent si comiquement "les tricheurs", l'illusionniste américain James Randi et Walter Stewart dont la carte de visite porte, ou à peu près, la mention : "professionnel de la mise à jour des magouilles de laboratoire"(2).


Le premier est réputé d'une part pour la hargne avec laquelle il cherche en permanence à démontrer que paranormal = mensonge et d'autre part pour avoir été désavoué par une association de magiciens professionnels à propos de l'une de ses interventions. Il faut savoir que, cette fois là, le bonhomme avait fait fort dans le registre : "Je donne des leçons mais je n'ai pas de scrupules". En 1983, grâce à une subvention de James Mc Donnell, président d'une compagnie aéronautique bien connue, une université de Saint-Louis, dans le Missouri, avait mis en place un programme de recherches en parapsychologie. Sous prétexte de pièger les universitaires en charge de ces travaux deux acolytes de Randi, eux-mêmes illusionnistes, se sont faits passer pour des médiums et, comme si cette forfaiture ne suffisait pas, ont pénétré clandestinement (c'est à dire la nuit et en passant par la fenêtre. Vous avez bien lu et c'est eux mêmes qui l'ont avoué) dans le laboratoire afin de trafiquer en toute quiétude le matériel expérimental. "Comme quoi le fanatisme fait oublier l'honneur" (Rémy Chauvin). Voilà, en tout cas, le modèle de loyauté, par ailleurs nullement compétent en biochimie, qui se préparait à venir poser des questions à Benveniste. Ah çà n'est pas triste la discussion scientifique quand çà tourne au job d'inquisiteur.


Quand au second de ces soi-disants experts, aussi sourcilleux en apparence qu'un puritain il aurait pu néammoins, si le ridicule tuait, donner un cimetière comme adresse depuis qu'il avait mis en cause à tort David Baltimore, Prix Nobel de Médecine 1975. Leur double présence était positivement insultante en raison des soupçons qu'elle laissait peser sur l'équipe de Benveniste qui accepta pourtant de les laisser mener leurs investigations. Celles-ci se déroulèrent dans une atmosphère de psychodrame longuement décrite par Michel Schiff et Eric Fottorino. Pour en avoir une idée il suffit de savoir que Randi (fidèle à sa ligne de conduite, cela du moins on ne peut pas le lui reprocher) a distrait à plusieurs reprises la principale expérimentatrice, Elisabeth Davenas, en effectuant sous son nez de petites démonstrations d'illusionnisme. Finalement le trio s'en retourna sans avoir trouvé de falsification mais en laissant derrière lui une terrible bombe à retardement : tout s'expliquerait par des erreurs dans la transcription des résultats. Après avoir vérifié de son côté Benveniste aura beau contester ce jugement abrupt les choses iront désormais pour lui vite, beaucoup trop vite. Il en sera encore à demander que, pour trancher définitivement, l'on se décide à reprendre son travail à partir de zéro au moment où, effectivement, un Professeur au Collège de France l'accusera de déshonorer la science.
Tout isolé qu'il soit Benveniste ne se retrouvait cependant pas seul sur une île déserte. Plusieurs universitaires, célèbres ou de base, n'hésitaient pas à rappeler que la manière dont on commençait à le traiter constituait un exemple parfait de négation de la morale scientifique. Certains d'entre eux allèrent jusqu'à mettre la main à la pâte comme le statisticien, bien connu dans son milieu professionnel, Alfred Spira, qui décida de prendre en charge les calculs à l'occasion d'une nouvelle expérience, la méthode statistique employée par Benveniste travaillant seul étant pour le moins désuéte (statisticien moi-même, comme on le sait, j'ai, pour ma part, attiré sur ce point l'attention de mes collègues les plus proches après avoir entendu, pour la première fois, Benveniste à l'occasion d'une conférence donnée dans un amphi de la faculté de Médecine de Toulouse en 1990).


Sous la supervision de Spira, Jacques Benveniste et Elisabeth Davenas sont donc retournés au charbon. La stricte confirmation espérée ne vint pas mais pourtant "une transmission d'information persistait à haute dilution" (Alfred Spira). Autrement dit si ces nouvelles expériences n'ont pas fourni de résultats semblables aux précédents elles n'en allaient pas moins incontestablement dans le sens des hypothèses ardemment défendues par Benveniste(3). Ici se situe un épisode dont il faut se dépêcher de rire tant il peut sembler bête à pleurer.
Lorsqu'un scientifique français estime être l'auteur d'un travail présentant quelqu'intêrêt, petit ou grand, il peut, pour le faire connaître, présenter par écrit un rapport à l'Académie des Sciences. Si ce docte et digne organisme reconnaît les mérites du texte qui lui est soumis il le publie dans une revue intitulée modestement "Comptes Rendus de l'Académie des Sciences" et qui paraît chaque semaine. Eh bien, incroyable mais vrai sans le moindre doute cette fois, quand Benveniste et Spira ont adressé leur article il a été retenu au grand dam de certains membres de l'Académie, comme par exemple le très célèbre biologiste Jean - Pierre Changeux.


En apprenant que les machines de l'imprimerie venaient de se mettre en marche ils ont dû être quelques uns à s'arracher les cheveux (enfin ceux leur restant à l'issue d'une première séance de déplumage qui avait certainement suivi de près l'article de "Nature") tout en se demandant avec rage: "Mais, sac à papier et sabre de bois, que faisais-je donc au moment où cette terrifiante décision a été prise ?". Heureusement (sic) pour ne point posséder de rubriques de politique, de sport ou de faits divers les "Comptes Rendus" n'en sont pas moins, sous l'angle légal, une publication comme les autres. On s'aperçut, juste à temps, que quelques semaines auparavant ils avaient fait paraître une note défavorable à la mémoire de l'eau. Dès lors la face pouvait être sauvée : il suffisait que les secrétaires de l'Académie ajoutent quelques lignes précisant que le texte de Benveniste et Spira constituait un simple droit de réponse. L'imprimeur reçut dare-dare l'instruction de détruire tout les numéros déjà fabriqués et d'en préparer d'autres dans lequel l'avertissement figurerait en bonne place. Ainsi fut fait, ce qui constitua une grande première, et l'article qui donnait des cauchemars dégringola en division inférieure puisque, formellement du moins, il passait du statut de rapport scientifique approuvé par l'Académie des Sciences à celui de simple réaction d'une personne mise en cause. "Ouf, se calmèrent les angoissés, c'est toujours au dernier moment qu'ont lieu les miracles". De miracle il n'est, là, pas question, bien entendu, et de science encore moins mais de tour de passe-passe à coup sûr. Avec sans doute un peu d'hypocrisie pour rendre le numéro plus spectaculaire.


Ceci se passait au début de 1991. A cette date Jacques Benveniste, objet de plus de diverses sortes de pressions administratives, avait renoncé sinon à ses convictions du moins à obtenir que d'autres étudient la mémoire de l'eau pour se lancer dans une recherche proche de la précédente et qui allait lui valoir autant de désagréments. Pour comprendre de quoi il est question il suffit de réfléchir à partir de la comparaison utilisée par Benveniste lui-même devant des journalistes et dont j'ai eu la primeur, un jour, en buvant le café.


Quand une vedette de la chanson enregistre un disque elle commence par se placer devant un micro puis émet des ondes sonores qui sont d'abord enregistrées sur une bande magnétique. C'est de cette manière qu'elle peut, par la suite, venir pousser la romance chez nous. Cela nous revient moins cher que d'assister au spectacle et si la vedette n'est pas présente en chair et en os nous avons, malgré tout, l'essentiel : sa voix. De même, selon Benveniste, les molécules émettent des signaux qu'il est possible d'"enregistrer" dans l'eau par l'intermédiaire d'un ordinateur. Dès lors injecter cette eau revient à écouter un orchestre, non pas en direct mais sur une chaîne haute - fidélité. En employant des molécules entrant dans la constitution d'un médicament il serait donc un jour possible, au cas où Benveniste aurait raison, de soigner les gens dans le monde entier, et en particulier dans les pays sous-développés, sans expédier par avion et en quantité limitée des remèdes très onéreux mais simplement en envoyant à volonté le principe actif d'un ordinateur à un autre, grâce à l'Internet, puis en le récupérant à l'arrivée dans un peu d'eau qui apprendrait ainsi son existence et s'en servirait, un peu comme un enfant ayant étudié sa leçon dans un livre est capable de la réciter : le texte n'a pas quitté les pages du manuel mais il est maintenant "imprimé" dans un cerveau. De plus à défaut d'acheter un disque nous pouvons l'écouter à la radio. Semblablement Jacques Benveniste imagine que les pesticides au lieu d'être répandus dans les prés, avec les inconvénients que personne n'ignore, pourraient être émis sous forme d'ondes.


L'enjeu qui se trouve au delà de cette seconde version de la mémoire de l'eau est donc colossal... si Benveniste dit vrai. Il a choisi cette direction après avoir pris connaisssance des recherches de deux physiciens italiens, Emilio Del Giudice et Giuliano Preparata, ce qui devait forcément l'amener à rencontrer des physiciens français.
Nous avons, en France, deux récents Prix Nobel de Physique particulièrement prestigieux. Si l'un, Pierre-Gilles de Gennes, reste, depuis qu'il a été distingué, relativement discret, l'autre Georges Charpak, se montre assez fréquemment à la télévision, donne des conférences, publie des livres destinés au grand public et passe ainsi pour un homme de science serein et large d'esprit. C'est la route de celui-là que devait croiser celle de Jacques Benveniste. Ils réaliseront en commun, en 1994, une série d'expériences et leur aventure commune se terminera fort mal. Si je peux exprimer une opinion, et je l'exprime, le Professeur Charpak s'est alors montré indigne de son image. Il a déclaré que Jacques Benveniste était atteint d'un "délire sans limites", "entouré de truands", peut-être fraudeur en chef et a traité de marginal et de complice un chercheur de Chicago parfaitement honorable sur le plan scientifique. Tous ces éléments sont extraits des articles d'Eric Fottorino des 22 et 23 janvier 1997 mais si la preuve de la tricherie ne figure nulle part dans les coups de gueule excessifs et injustes du Prix Nobel on peut, par contre, prendre connaissance, toujours sous la plume de Monsieur Fottorino, de quelques détails rudement intéressants. Les expériences montées en commun étaient réalisées en deux temps. Elles débutaient dans le laboratoire de Georges Charpak puis, après déplacement du matériel, s'achevaient dans celui de Benveniste. Ce dernier prenant acte des échecs répétés alors que, du moins à son avis, il parvenait régulièrement à la réussite en restant chez lui, incrimina, en accord j'espère avec tous les gens de bon sens, le transport et proposa que tout se passe en un lieu unique, à savoir chez le Professeur Charpak. A la date de parution de l'article, Georges Charpak, certainement trop pris par les multiples prestations publiques que la gestion de sa gloire impose à un Prix Nobel, n'avait pas encore trouvé le temps de répondre.


Quelques autres péripéties ont meublé le reste des années qui se sont écoulées depuis l'été 1988. Le Professeur Roberfroid, biochimiste de l'Université de Louvain a déclaré disposer de 3600 données expérimentales "démontrant que des produits à haute dilution peuvent avoir un effet biologique." (cité par Eric Fottorino). Ceci ne donne pas définitivement raison à Benveniste - les deux expériences différent sur un point important - mais ne peut que l'encourager sérieusement. Randi et Maddox, reparlant de leur enquête, se sont contredits. Le même Maddox n'a pas donné suite lorsque Eric Fottorino lui a demandé si, oui ou non, la version primitive du récit de son voyage à Clamart mentionnait l'existence de résultats positifs non attribuables à des erreurs. Si cette phrase a bien existé et a réellement disparu il y a de quoi méditer encore plus longuement qu'à la lecture de certains "Comptes-Rendus de l'Académie des Sciences". D'après une rumeur l'attitude de Georges Charpak pourrait s'expliquer en partie par certaines pressions aussi amicales que justement académiciennes. Peut-être est-ce faux les prises de position et les actions publiques suffisant largement puisque Giuliano Preparata, l'un des deux physiciens italiens soutenant Benveniste a pu écrire : "Quand j'ai proposé de faire une conférence-débat à Paris cela fut refusé avec mépris.".


Dix ans déjà. Jacques Benveniste, maintenant installé dans un préfabriqué, poursuit ses recherches comme il peut et a présenté, en 1997, dans un congrès qui s'est tenu à San Francisco, les perspectives étonnantes sur lesquelles débouche sa collaboration avec une équipe d'universitaires de Chicago. A deux reprises il a répondu avec le sourire à mon invitation à se rendre à Toulouse. La première fois pour présenter à la FNAC l'ouvrage de Michel Schiff, la seconde pour participer à un colloque organisé par mon équipe et, en chaque occasion, il s'est montré un agréable et truculent compagnon. Pourtant personne ne s'est jamais assis avec lui autour d'une table pour discuter sans passion, aucun de ceux qui l'ont critiqué et insulté n'a jamais envisagé de tenter de reproduire ses expériences en utilisant exactement sa façon d'opérer. Dix ans, oui. S'il y a eu fraude nul n'a été capable de prouver où et quand. Si c'est une erreur répétée qui explique tout nul ne l'a montrée du doigt.
Faut-il donc, malgré cela, se résigner et accepter que les idées de Benveniste aient pu être ensevelies alors qu'elles s'agitaient encore ? Alors que pour le plus grand bien de leurs malades certains médecins prescrivent toujours des médicaments homéopathiques ? Certainement pas car au moment où j'écris rien n'est encore joué, tant pis pour ceux qui se sont rendormis tranquilles. Un long texte publié le 18 mars 1999 par "Le Quotidien du Médecin" rapporte le contenu de la conférence donnée à Cambridge par Jacques Benveniste pour présenter l'état d'avancement de ses recherches. Le lieu, le Cavendish Institute, était aussi prestigieux que le nom du savant ayant lancé l'invitation : Brian Josephson, Prix Nobel de physique 1973 à l'âge de 33 ans. Et comme le remarque, en terminant, Vincent Bargoin, l'auteur de l'article : " Josephson recevant à Cambridge Benveniste était un signal qui avait de l'allure".

 
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Notes
(1) INSERM : Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale.
(2) En supposant que Maddox ait sincèrement pensé à la fraude pourquoi diable s'est-il préoccupé d'en chercher la preuve après avoir publié l'article de Benveniste et non avant ?
(3) Actuellement Spira se déclare persuadé de la possibilité de ce qu'il nomme une "faiblesse dans la procédure expérimentale" et il est vrai que si un statisticien est responsable de ses calculs il ne l'est pas de la fiabilité des nombres qui lui sont fournis.
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