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"ENQUETES EXTRAORDINAIRES" SUR M6. UNE DECEPTION PASSAGERE ?

vendredi 9 juillet 2010, par Yves Lignon

On pouvait espérer beaucoup de la série de cinq documentaires récemment diffusés par M6 (le jeudi vers 23 heures à partir du 20 mai dernier). Parce que les compétences professionnelles de l’auteur - le journaliste d’investigation Stéphane Allix - sont certaines, parce que son intérêt pour l’étude scientifique du paranormal n’a rien de superficiel.

Beaucoup espérer revenait à attendre des émissions didactiques comme il en existe, par exemple, à propos de médecine. Autrement dit – et sans pour autant négliger le vécu réel ou supposé - la présentation de travaux de recherche rendus accessibles au téléspectateur aussi complexes qu’ils soient, bref une mise à disposition de ce que les chercheurs qualifient de preuves au sens scientifique. Malheureusement nous n’avons eu droit, essentiellement, qu’à un alignement de discours allant tous dans le même sens, [1] et d’interventions de S. Allix lui-même bricolant, à l’occasion, quelques études pas forcément rigoureuses.

Dans la première émission, consacrée aux guérisseurs, se sont ainsi succédés des médecins, se limitant à dire qu’ils étaient convaincus et faisaient appel à ces praticiens alternatifs, et des professionnels dont les déclarations (parfois cautionnées par celles, déroutantes car apparemment excessives, de patients) attestaient de l’existence de leur propre don ! Autrement dit tous ceux qui se sont exprimés l’ont fait pour dire qu’ils y "croyaient" sans qu’aucun apporte ce que les sceptiques nomment, légitimement, une démonstration expérimentale. Dans ces conditions rien d’étonnant à ce que des journaux comme "L’Express" ou "Le Monde" aient publiés des critiques très dures, le second surtout allant jusqu’à se demander où se situait la frontière entre honnêteté et naïveté.

Pourtant les expériences de laboratoire avec les guérisseurs existent. Les plus anciennes sont anglo-saxonnes et datent de presque cinquante ans. Parmi les plus récentes l’une, réalisée aux Pays-Bas avec des rats, est particulièrement remarquable mais on n’a même pas parlé de celle à laquelle a participé, en France, l’un de ceux qu’on a pu voir sur l’écran en train de soigner. S. Allix n’ignorant pas l’existence de ce corpus, le fait de ne pas y avoir fait place dans son émission relève donc d’un choix délibéré. Maladresse énorme qui confirme une fois de plus que l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Son de cloche identique à propos de la seconde émission consacrée au paranormal chez les animaux. Là encore interviews plutôt que description fine d’expériences y compris dans le cas de Rupert Sheldrake, certainement le meilleur spécialiste mondial du problème. Et double circonstance aggravante.

Premièrement présence à l’écran d’une personne proposant des stages de formation à la communication parapsychologique entre être humain et animal. Séduisant certes mais sur les fondements scientifiques de cette pratique pas un mot. Existent-ils d’ailleurs ces fondements ? C’est une chose que de tenir de beaux discours et de prétendre pouvoir apprendre "comment faire" à qui voudra bien payer. C’en est une autre de passer du temps, bénévolement, dans un laboratoire en participant à des expériences destinées à montrer que celui ou celle qui parle si bien n’est pas un marchand d’orviétan.

Deuxièmement trop longue séquence sur la fameuse affaire du chat qui, dans un établissement pour personnes âgées, réagirait prémonitoirement à l’approche d’un décès. Trop longue et totalement dépourvue d’approche critique, une nouvelle fois, alors que même certains parapsychologues émettent des réserves sur la fiabilité de cette histoire.

Certes dans la troisième émission, consacrée aux NDE, on a pu voir et entendre le Dr Jean-Pierre Jourdan, l’un des grands experts français de la question, auteur de l’incontournable livre "Deadline" (éditions Les 3 Orangers). Hélas cette intervention (comme celle de Rupert Sheldrake dans l’émission précédente) est décrédibilisée par sa juxtaposition avec les séquences consacrées à des personnes racontant de "belles histoires".

Il faut le dire avec force quitte à se contenter d’un seul exemple. Mettre sur le même plan, sans la moindre précaution oratoire, d’une part un médecin ayant constaté l’action d’un guérisseur et d’autre part un personnage qui explique préparer le corps éthérique et l’aura pour qu’une opération chirurgicale se passe le mieux possible relève d’une démarche à la fois ridicule et catastrophique.

La situation s’est encore aggravée avec la quatrième émission intitulée "Les signes de l’au-delà" donc traitant d’un sujet particulièrement sensible. Un personnage qui prétend communiquer avec les morts, et demande pour cela une rémunération élevée aux familles endeuillées, a bénéficié d’une promotion digne d’un chanteur à la mode. Quand on fait remarquer à S. Allix que, de plus, de très mauvais renseignements sur cet individu sont disponibles notre journaliste répond en substance : "Voyons, je l’ai testé moi-même". On ne devient pas pourtant du jour au lendemain expert dans un domaine où de soi-disant "médiums" exploitent méthodiquement, avec cynisme et habileté, la détresse des gens endeuillés.

Au cours de la dernière émission consacrée au "Sixième Sens" (voyance, télépathie) on a vu, une fois de plus, S. Allix (décidément beaucoup trop présent à l’image) se balader au quatre coins du monde ébahi par tout ce qu’il découvrait. Toujours pas de critique, tout est forcément vrai. Toujours pas de contradicteur ou de questions qui secouent l’interlocuteur. C’est tout l’inverse d’un travail de journaliste. Un journaliste qui se met en scène en compagnie de son épouse au moment de réaliser ce qu’il appelle des "expériences" conçues par lui. Là c’est aux yeux des chercheurs scientifiques en parapsychologie qu’il réussit à passer pour un fantaisiste. Destiné à cet ultime épisode un long tournage avait été réalisé à l’Institut Métapsychique. Il n’en est rien resté à l’antenne en dehors de quelques brèves phrases de mon ami Paul-Louis Rabeyron a qui le montage fait presque dire le contraire de ce qu’il pense.

Et les images du générique de l’émission ne constituaient-t-elles pas, hélas, un résumé qui dit bien tout ? "Enquêtes Extraordinaires" n’a pas été la grande série de vulgarisation - attendue en vain depuis des années - sur la parapsychologie. Le ton s’est situé quelque part entre celui des journaux "people" et celui des magazines sur papier glacé pour lecteurs bobos. Une partie du contenu ne valait d’ailleurs pas plus – tant pis pour le rabâchage - que les "tests" effectués autrefois par la rédaction de "Elle" avec Yaguel Didier.

Les téléspectateurs ayant été suffisamment nombreux, au long de ces 5 semaines, il paraît qu’une suite est envisagée. S. Allix continuera-t-il sur la même voie ? Sa bonne foi et sa sincérité n’étant pas en cause on peut souhaiter qu’il change radicalement de politique éditoriale. La mode est peut-être à l’"Extraordinaire" mais ceux dont il déclare pourtant, à tour de bras, soutenir le combat n’attendent pas de lui qu’il suive la mode. Il connaît bien les scientifiques pouvant jouer le rôle de consultants (certains même appartiennent à l’INREES, organisme dont il est le fondateur) lors du tournage d’émissions qui seraient à la fois attractives et difficilement contestables sur le plan de la rigueur. De trop rares réalisateurs français de télévision y sont parvenus avant lui, il y a maintenant bien longtemps. Avec les moyens matériels dont il dispose et ses remarquables qualités de journaliste Stéphane Allix est capable de prendre la relève.

Notes

[1] On sait que je suis de ceux qui pensent et disent depuis longtemps qu’omettre systématiquement de présenter le point de vue sceptique n’est pas acceptable déontologiquement.