L'HOMÉOPATHIE
ET LA MÉMOIRE DE L'EAU
Source : Les dossiers scientifiques de l'étrange, chapitre
21, 1999
Ce chapitre a été écrit en utilisant, entre autres, la documentation
fournie par les articles d'Eric Fottorino, publiés dans "Le Monde" daté
21, 22 et 23 janvier 1997, et le contenu d'entretiens privés avec Jacques
Benveniste.
C'est un film comique ou une histoire de fous ou les deux
à la fois, au choix. C'est une comédie tragique par certains de ses côtés
et il faudrait Molière pour dépeindre exactement tous les Vadius et les
Trissotin, surtout tous les Tartuffes qui y ont tenu les premiers rôles.
Et, de même qu'un meurtre commandité par des mafieux peut se dissimuler
derrière un accident, le débat autour des résultats d'une expérience a
servi de prétexte à des échanges d'insanités. On entendra, dans un camp,
le célèbre Prix Nobel Georges Charpak déclarer qu'il ne participera à
une tentative de reproduction de l'expérience qu'en dehors de la présence
de toute personne ayant serré la main du leader de l'autre camp, Jacques
Benveniste, au cours des trois derniers mois et celui-ci répondra que
son contradicteur aurait refusé l'aviation même en assistant à l'envol
de Blériot. Après dix ans d'affrontements dont l'échange ci-dessus donne
à peine une idée il reste au moins une certitude : le nom de la principale
victime, Jacques Benveniste, justement, l'auteur de l'expérience si controversée,
dont le laboratoire à été fermé.
L'expérience en question a un rapport direct avec l'homéopathie, plus
exactement avec les médicaments homéopathiques. Le principe de fabrication
de ces remèdes est assez simple. Essayons de le comprendre en nous appuyant
sur une métaphore. Admettons qu'un morceau de sucre soit composé de 10
000 grains. Si je le fais fondre dans un verre d'eau, en mélangeant soigneusement,
ce premier verre contient les 10 000 grains. J'ajoute de l'eau en quantité
suffisante pour pouvoir remplir deux verres qui, toujours après mélange,
contiendront chacun approximativement 5 000 grains. Je retourne chercher
de l'eau car je veux pouvoir utiliser 4 verres dans chacun desquels se
trouveront de cette façon en moyenne 2 500 grains. Et ainsi de suite.
Quand je parviendrai à 10 000 verres il n'y aura plus qu'un seul grain
dans chacun et si je continue encore très longuement la dilution deviendra
telle que mes verres ne contiendront plus de sucre.
En homéopathie on procède ainsi mais en employant des molécules à la place
du sucre. A force de dilution les molécules "disparaissent" mais leur
activité demeure, du moins à ce que prétendent les homéopathes. Pour revenir
à mon exemple il n'y a plus de sucre, c'est certain, et pourtant en buvant
l'eau on lui trouve un goût sucré. A partir de 1982 Jacques Benveniste
a réalisé des expériences allant dans ce sens, donc favorables à cette
théorie si controversée qu'est l'homéopathie. Il en a publié les résultats
en 1988 et c'est alors que la dispute a commencé ou, si vous préférez,
que le scandale, le scandale énorme, a éclaté. Tout cela se terminant
par ce que Michel Schiff, chercheur au CNRS, a nommé "Un cas de censure
dans la science", titre du livre qu'il a fait paraître, en 1994, aux éditions
Albin Michel.
Au moment où les trois coups vont être frappés Benveniste n'est pas n'importe
qui. Bachelier à 15 ans, Docteur en Médecine, entré dans la carrière scientifique
en 1969, aux Etats-Unis, ses recherches ont permis une découverte essentielle,
celle d'une molécule nommée PAF - Acether qui joue un rôle dans le déclenchement
de certaines crises d'asthme. Chercheur dont les travaux font référence
il est unanimement connu et apprécié dans son milieu où l'on murmure de
plus en plus que le Prix Nobel pourrait bien lui être attribué. C'est
ce savant prestigieux qui, un jour de juin 1988 monte à la tribune du
Congrès d'Homéopathie de Strasbourg. Les mots qu'il va prononcer lui vaudront
très vite d'être couvert d'insultes (cité par Eric Fottorino le Professeur
Marcel-Francis Kahn, de l'hôpital Bichat, parlera à son propos de délire
psychotique) avant de se retrouver au ban de la science sous l'accusation
d'avoir "déshonoré la science française en trafiquant ses résultats avec
la complicité des techniciens de son laboratoire" (Eric Fottorino). Sans
doute pensez-vous que la rigueur, le bon sens et avant tout l'honnêteté
font qu'une mise en cause d'une telle gravité s'appuie sur des preuves
éclatantes ? Point du tout, rien de concret n'a pu être avancé à l'encontre
de Jacques Benveniste et, à fortiori, il n'existe pas le plus petit élément
de flagrant délit. Il n'y a que soupçons sans éléments matériels mais
commençons par le commencement.
En regagnant sa place, au milieu des congressistes de Strasbourg, Benveniste
a certainement remarqué de tous côtés des sourires de satisfaction. Ce
qu'il venait de raconter ne ressemblait ni à un conte de fées, ni aux
paroles d'une chanson à la mode. Il s'était contenté de résumer le contenu
d'un article qui, sous sa signature et celles de plusieurs de ses collaborateurs,
allait être publié prochainement dans les colonnes de "Nature", une très
importante revue scientifique britannique. Un anticorps avait été dilué
dans l'eau jusqu'à ce que ses molécules disparaissent mais mises en présence
de cette eau des cellules sanguines, les basophiles, avaient réagi comme
si l'anticorps était toujours là. Ces expériences avaient été réalisées
en commun par le laboratoire de Jacques Benveniste, l'unité 200 de l'INSERM(1)
à Clamart, près de Paris, et trois autres équipes installées respectivement
au Canada, en Israël et en Italie.
Si tout était exact la communauté scientifique se trouvait face à une
découverte fabuleuse : sans contenir de molécules l'eau pourrait produire
un effet moléculaire. Voilà qui apportait, certes, des arguments aux défenseurs
de l'homéopathie mais allait infiniment plus loin, jusqu'à la remise en
question radicale de tout ce que la science avait appris à propos de la
matière en général depuis 200 ans. En utilisant une expression imagée,
pour mieux se faire comprendre, Benveniste allait aggraver sérieusement
son cas. Il parla de mémoire de l'eau. "Tout s'est passé, expliqua-t-il,
comme si l'eau se souvenait de la molécule". Et pour se souvenir il faut
posséder une conscience.
Une règle scientifique essentielle - et c'est une très bonne règle - impose
que les résultats d'une première expérience ne soient acceptés et reconnus
pour vrais que si ces résultats sont obtenus à nouveau par des laboratoires
indépendants de celui qui, le premier, a annoncé ce qu'il appelle une
découverte. En présence de conclusions remettant en cause les bases mêmes
de la biologie il fallait logiquement s'attendre à ce que d'autres chercheurs
se précipitent, et d'abord en France puisque c'est de France que venait
la nouvelle. John Maddox, le rédacteur en chef de "Nature" ne pensait
pas autrement, du moins en apparence, en rédigeant les quelques lignes
accompagnant l'article incriminé à l'occasion de sa parution, le 30 juin
1988. Cet avertissement se terminait par : "Il faut se demander avec plus
de soin encore que d'habitude si l'observation n'est pas incorrecte".
Nous sommes d'accord. Un scientifique ne peut qu'être d'accord.
Sous la réserve, toutefois, de s'entendre sur la définition d'une observation
incorrecte. Il en existe, mais oui, deux sortes. Celles qui sont incorrectes
par suite d'une erreur des expérimentateurs, celles qui ne le seraient
pas mais qui le deviennent parce qu'elles ont reçu un coup de pouce. Par
les temps qui courent on trouve quand même des tricheurs plus facilement
dans certaines arrière-salles enfumées que dans les laboratoires. Il semble
donc que la phrase de Maddox ne puisse s'interpréter que d'une seule manière
: une observation incorrecte, en matière scientifique, équivaut généralement
à un but contre son camp au football. Il y a maladresse, faute technique,
incompétence ou ce que l'on voudra du même tonneau mais non trahison.
Finalement Maddox se contentait de rappeler une évidence, à savoir que
le soin apporté à la réplication d'une expérience doit être à la hauteur
de l'importance de l'enjeu.
Voire. Celui qui a été soigné ici c'est Benveniste lui-même. Un comble
pour un médecin. D'entrée un célèbre Prix Nobel de Médecine, François
Jacob, se chargea d'indiquer aux violons sur quel ton ils devaient jouer
l'air du coup de trique. Tranquillement installé dans ses certitudes il
affirma que les expériences en cause ne pouvaient réussir puisqu'avec
la dilution il n'y a plus de molécules alors que la physique et la chimie
disent qu'il en faut. Bel exemple de confiance, peut-être même de croyance
primaire, en une science qui détiendrait des vérités définitives et irréfutables
et n'aurait plus besoin de se remettre en question. Confiance que ne partagent
malheureusement pas ceux qui, sans être Prix Nobel, regardent un peu vers
le passé. Dans son dernier cours, le 24 juin 1925, Charles Richet s'est
amusé à aligner les noms d'auteurs de découvertes fondamentales rejetées
par leurs collègues. Le Professeur Chauvin raconte souvent la lamentable
histoire de Semmelweiss, un médecin viennois qui s'aperçut, vers 1850,
de la nécessité de la propreté en milieu hospitalier et, voulant imposer
des mesures d'hygiène élémentaire, fut l'objet d'une telle cabale qu'il
en mourut fou. N'oublions ni toutes les bêtises racontées à l'occasion
des premiers voyage en chemin de fer, ni le physicien Esclangon expliquant,
il y a moins de 50 ans, comment et pourquoi aucun être humain ne pourrait
vivre dans un satellite tournant autour de la terre. Songeons surtout
à Charles Cros, le doux poète de Fabrezan, ignominieusement traité de
ventriloque lorsqu'il a présenté le premier tourne-disques à l'Académie
des Sciences. Quand au jugement des Prix Nobel eux-mêmes voici non pas
un mais deux contre-exemples : le physicien John Strutt, futur Lord Rayleigh,
(lauréat en 1904) a déclaré que ceux qui cherchaient à faire voler un
engin plus lourd que l'air perdaient leur temps et le chimiste Ernest
Rutherford (couronné en 1908) qualifiait de conte à dormir debout l'idée
que l'on puisse utiliser l'énergie nucléaire. Après quoi, moins de cinquante
ans plus tard, un avion porteur d'une bombe atomique s'est dirigé vers
Hiroshima.
Toutes ces bavures - bref extrait tiré d'un important florilège - ne prouvent
en rien que Benveniste a raison mais elles rendent incompréhensible et
inacceptable l'attitude de ceux qui se contentent de clamer avec autorité
: "Ce n'est pas possible en l'état actuel de nos connaissances, c'est
donc définitivement impossible.".
Toujours est-il que, libérées par ce genre de signal donné au plus haut
niveau, les passions pouvaient se déchaîner. Elles ne s'en privèrent pas.
Le deuxième acte débuta par l'annonce de la venue à Clamart de John Maddox
en personne. Les naïfs crurent, durant quelques instants, que le rédacteur
en chef de "Nature" venait s'enquérir, auprès de Benveniste, d'informations
complémentaires permettant d'inciter d'autres laboratoires à tenter de
reproduire l'expérience. Pas question. Maddox arrivait en enquêteur soupçonneux
accompagné de deux spécialistes auto-proclamés de la chasse à ce qu'ils
appellent si comiquement "les tricheurs", l'illusionniste américain James
Randi et Walter Stewart dont la carte de visite porte, ou à peu près,
la mention : "professionnel de la mise à jour des magouilles de laboratoire"(2).
Le premier est réputé d'une part pour la hargne avec laquelle il cherche
en permanence à démontrer que paranormal = mensonge et d'autre part pour
avoir été désavoué par une association de magiciens professionnels à propos
de l'une de ses interventions. Il faut savoir que, cette fois là, le bonhomme
avait fait fort dans le registre : "Je donne des leçons mais je n'ai pas
de scrupules". En 1983, grâce à une subvention de James Mc Donnell, président
d'une compagnie aéronautique bien connue, une université de Saint-Louis,
dans le Missouri, avait mis en place un programme de recherches en parapsychologie.
Sous prétexte de pièger les universitaires en charge de ces travaux deux
acolytes de Randi, eux-mêmes illusionnistes, se sont faits passer pour
des médiums et, comme si cette forfaiture ne suffisait pas, ont pénétré
clandestinement (c'est à dire la nuit et en passant par la fenêtre. Vous
avez bien lu et c'est eux mêmes qui l'ont avoué) dans le laboratoire afin
de trafiquer en toute quiétude le matériel expérimental. "Comme quoi le
fanatisme fait oublier l'honneur" (Rémy Chauvin). Voilà, en tout cas,
le modèle de loyauté, par ailleurs nullement compétent en biochimie, qui
se préparait à venir poser des questions à Benveniste. Ah çà n'est pas
triste la discussion scientifique quand çà tourne au job d'inquisiteur.
Quand au second de ces soi-disants experts, aussi sourcilleux en apparence
qu'un puritain il aurait pu néammoins, si le ridicule tuait, donner un
cimetière comme adresse depuis qu'il avait mis en cause à tort David Baltimore,
Prix Nobel de Médecine 1975. Leur double présence était positivement insultante
en raison des soupçons qu'elle laissait peser sur l'équipe de Benveniste
qui accepta pourtant de les laisser mener leurs investigations. Celles-ci
se déroulèrent dans une atmosphère de psychodrame longuement décrite par
Michel Schiff et Eric Fottorino. Pour en avoir une idée il suffit de savoir
que Randi (fidèle à sa ligne de conduite, cela du moins on ne peut pas
le lui reprocher) a distrait à plusieurs reprises la principale expérimentatrice,
Elisabeth Davenas, en effectuant sous son nez de petites démonstrations
d'illusionnisme. Finalement le trio s'en retourna sans avoir trouvé de
falsification mais en laissant derrière lui une terrible bombe à retardement
: tout s'expliquerait par des erreurs dans la transcription des résultats.
Après avoir vérifié de son côté Benveniste aura beau contester ce jugement
abrupt les choses iront désormais pour lui vite, beaucoup trop vite. Il
en sera encore à demander que, pour trancher définitivement, l'on se décide
à reprendre son travail à partir de zéro au moment où, effectivement,
un Professeur au Collège de France l'accusera de déshonorer la science.
Tout isolé qu'il soit Benveniste ne se retrouvait cependant pas seul sur
une île déserte. Plusieurs universitaires, célèbres ou de base, n'hésitaient
pas à rappeler que la manière dont on commençait à le traiter constituait
un exemple parfait de négation de la morale scientifique. Certains d'entre
eux allèrent jusqu'à mettre la main à la pâte comme le statisticien, bien
connu dans son milieu professionnel, Alfred Spira, qui décida de prendre
en charge les calculs à l'occasion d'une nouvelle expérience, la méthode
statistique employée par Benveniste travaillant seul étant pour le moins
désuéte (statisticien moi-même, comme on le sait, j'ai, pour ma part,
attiré sur ce point l'attention de mes collègues les plus proches après
avoir entendu, pour la première fois, Benveniste à l'occasion d'une conférence
donnée dans un amphi de la faculté de Médecine de Toulouse en 1990).
Sous la supervision de Spira, Jacques Benveniste et Elisabeth Davenas
sont donc retournés au charbon. La stricte confirmation espérée ne vint
pas mais pourtant "une transmission d'information persistait à haute dilution"
(Alfred Spira). Autrement dit si ces nouvelles expériences n'ont pas fourni
de résultats semblables aux précédents elles n'en allaient pas moins incontestablement
dans le sens des hypothèses ardemment défendues par Benveniste(3). Ici
se situe un épisode dont il faut se dépêcher de rire tant il peut sembler
bête à pleurer.
Lorsqu'un scientifique français estime être l'auteur d'un travail présentant
quelqu'intêrêt, petit ou grand, il peut, pour le faire connaître, présenter
par écrit un rapport à l'Académie des Sciences. Si ce docte et digne organisme
reconnaît les mérites du texte qui lui est soumis il le publie dans une
revue intitulée modestement "Comptes Rendus de l'Académie des Sciences"
et qui paraît chaque semaine. Eh bien, incroyable mais vrai sans le moindre
doute cette fois, quand Benveniste et Spira ont adressé leur article il
a été retenu au grand dam de certains membres de l'Académie, comme par
exemple le très célèbre biologiste Jean - Pierre Changeux.
En apprenant que les machines de l'imprimerie venaient de se mettre en
marche ils ont dû être quelques uns à s'arracher les cheveux (enfin ceux
leur restant à l'issue d'une première séance de déplumage qui avait certainement
suivi de près l'article de "Nature") tout en se demandant avec rage: "Mais,
sac à papier et sabre de bois, que faisais-je donc au moment où cette
terrifiante décision a été prise ?". Heureusement (sic) pour ne point
posséder de rubriques de politique, de sport ou de faits divers les "Comptes
Rendus" n'en sont pas moins, sous l'angle légal, une publication comme
les autres. On s'aperçut, juste à temps, que quelques semaines auparavant
ils avaient fait paraître une note défavorable à la mémoire de l'eau.
Dès lors la face pouvait être sauvée : il suffisait que les secrétaires
de l'Académie ajoutent quelques lignes précisant que le texte de Benveniste
et Spira constituait un simple droit de réponse. L'imprimeur reçut dare-dare
l'instruction de détruire tout les numéros déjà fabriqués et d'en préparer
d'autres dans lequel l'avertissement figurerait en bonne place. Ainsi
fut fait, ce qui constitua une grande première, et l'article qui donnait
des cauchemars dégringola en division inférieure puisque, formellement
du moins, il passait du statut de rapport scientifique approuvé par l'Académie
des Sciences à celui de simple réaction d'une personne mise en cause.
"Ouf, se calmèrent les angoissés, c'est toujours au dernier moment qu'ont
lieu les miracles". De miracle il n'est, là, pas question, bien entendu,
et de science encore moins mais de tour de passe-passe à coup sûr. Avec
sans doute un peu d'hypocrisie pour rendre le numéro plus spectaculaire.
Ceci se passait au début de 1991. A cette date Jacques Benveniste, objet
de plus de diverses sortes de pressions administratives, avait renoncé
sinon à ses convictions du moins à obtenir que d'autres étudient la mémoire
de l'eau pour se lancer dans une recherche proche de la précédente et
qui allait lui valoir autant de désagréments. Pour comprendre de quoi
il est question il suffit de réfléchir à partir de la comparaison utilisée
par Benveniste lui-même devant des journalistes et dont j'ai eu la primeur,
un jour, en buvant le café.
Quand une vedette de la chanson enregistre un disque elle commence par
se placer devant un micro puis émet des ondes sonores qui sont d'abord
enregistrées sur une bande magnétique. C'est de cette manière qu'elle
peut, par la suite, venir pousser la romance chez nous. Cela nous revient
moins cher que d'assister au spectacle et si la vedette n'est pas présente
en chair et en os nous avons, malgré tout, l'essentiel : sa voix. De même,
selon Benveniste, les molécules émettent des signaux qu'il est possible
d'"enregistrer" dans l'eau par l'intermédiaire d'un ordinateur. Dès lors
injecter cette eau revient à écouter un orchestre, non pas en direct mais
sur une chaîne haute - fidélité. En employant des molécules entrant dans
la constitution d'un médicament il serait donc un jour possible, au cas
où Benveniste aurait raison, de soigner les gens dans le monde entier,
et en particulier dans les pays sous-développés, sans expédier par avion
et en quantité limitée des remèdes très onéreux mais simplement en envoyant
à volonté le principe actif d'un ordinateur à un autre, grâce à l'Internet,
puis en le récupérant à l'arrivée dans un peu d'eau qui apprendrait ainsi
son existence et s'en servirait, un peu comme un enfant ayant étudié sa
leçon dans un livre est capable de la réciter : le texte n'a pas quitté
les pages du manuel mais il est maintenant "imprimé" dans un cerveau.
De plus à défaut d'acheter un disque nous pouvons l'écouter à la radio.
Semblablement Jacques Benveniste imagine que les pesticides au lieu d'être
répandus dans les prés, avec les inconvénients que personne n'ignore,
pourraient être émis sous forme d'ondes.
L'enjeu qui se trouve au delà de cette seconde version de la mémoire de
l'eau est donc colossal... si Benveniste dit vrai. Il a choisi cette direction
après avoir pris connaisssance des recherches de deux physiciens italiens,
Emilio Del Giudice et Giuliano Preparata, ce qui devait forcément l'amener
à rencontrer des physiciens français.
Nous avons, en France, deux récents Prix Nobel de Physique particulièrement
prestigieux. Si l'un, Pierre-Gilles de Gennes, reste, depuis qu'il a été
distingué, relativement discret, l'autre Georges Charpak, se montre assez
fréquemment à la télévision, donne des conférences, publie des livres
destinés au grand public et passe ainsi pour un homme de science serein
et large d'esprit. C'est la route de celui-là que devait croiser celle
de Jacques Benveniste. Ils réaliseront en commun, en 1994, une série d'expériences
et leur aventure commune se terminera fort mal. Si je peux exprimer une
opinion, et je l'exprime, le Professeur Charpak s'est alors montré indigne
de son image. Il a déclaré que Jacques Benveniste était atteint d'un "délire
sans limites", "entouré de truands", peut-être fraudeur en chef et a traité
de marginal et de complice un chercheur de Chicago parfaitement honorable
sur le plan scientifique. Tous ces éléments sont extraits des articles
d'Eric Fottorino des 22 et 23 janvier 1997 mais si la preuve de la tricherie
ne figure nulle part dans les coups de gueule excessifs et injustes du
Prix Nobel on peut, par contre, prendre connaissance, toujours sous la
plume de Monsieur Fottorino, de quelques détails rudement intéressants.
Les expériences montées en commun étaient réalisées en deux temps. Elles
débutaient dans le laboratoire de Georges Charpak puis, après déplacement
du matériel, s'achevaient dans celui de Benveniste. Ce dernier prenant
acte des échecs répétés alors que, du moins à son avis, il parvenait régulièrement
à la réussite en restant chez lui, incrimina, en accord j'espère avec
tous les gens de bon sens, le transport et proposa que tout se passe en
un lieu unique, à savoir chez le Professeur Charpak. A la date de parution
de l'article, Georges Charpak, certainement trop pris par les multiples
prestations publiques que la gestion de sa gloire impose à un Prix Nobel,
n'avait pas encore trouvé le temps de répondre.
Quelques autres péripéties ont meublé le reste des années qui se sont
écoulées depuis l'été 1988. Le Professeur Roberfroid, biochimiste de l'Université
de Louvain a déclaré disposer de 3600 données expérimentales "démontrant
que des produits à haute dilution peuvent avoir un effet biologique."
(cité par Eric Fottorino). Ceci ne donne pas définitivement raison à Benveniste
- les deux expériences différent sur un point important - mais ne peut
que l'encourager sérieusement. Randi et Maddox, reparlant de leur enquête,
se sont contredits. Le même Maddox n'a pas donné suite lorsque Eric Fottorino
lui a demandé si, oui ou non, la version primitive du récit de son voyage
à Clamart mentionnait l'existence de résultats positifs non attribuables
à des erreurs. Si cette phrase a bien existé et a réellement disparu il
y a de quoi méditer encore plus longuement qu'à la lecture de certains
"Comptes-Rendus de l'Académie des Sciences". D'après une rumeur l'attitude
de Georges Charpak pourrait s'expliquer en partie par certaines pressions
aussi amicales que justement académiciennes. Peut-être est-ce faux les
prises de position et les actions publiques suffisant largement puisque
Giuliano Preparata, l'un des deux physiciens italiens soutenant Benveniste
a pu écrire : "Quand j'ai proposé de faire une conférence-débat à Paris
cela fut refusé avec mépris.".
Dix ans déjà. Jacques Benveniste, maintenant installé dans un préfabriqué,
poursuit ses recherches comme il peut et a présenté, en 1997, dans un
congrès qui s'est tenu à San Francisco, les perspectives étonnantes sur
lesquelles débouche sa collaboration avec une équipe d'universitaires
de Chicago. A deux reprises il a répondu avec le sourire à mon invitation
à se rendre à Toulouse. La première fois pour présenter à la FNAC l'ouvrage
de Michel Schiff, la seconde pour participer à un colloque organisé par
mon équipe et, en chaque occasion, il s'est montré un agréable et truculent
compagnon. Pourtant personne ne s'est jamais assis avec lui autour d'une
table pour discuter sans passion, aucun de ceux qui l'ont critiqué et
insulté n'a jamais envisagé de tenter de reproduire ses expériences en
utilisant exactement sa façon d'opérer. Dix ans, oui. S'il y a eu fraude
nul n'a été capable de prouver où et quand. Si c'est une erreur répétée
qui explique tout nul ne l'a montrée du doigt.
Faut-il donc, malgré cela, se résigner et accepter que les idées de Benveniste
aient pu être ensevelies alors qu'elles s'agitaient encore ? Alors que
pour le plus grand bien de leurs malades certains médecins prescrivent
toujours des médicaments homéopathiques ? Certainement pas car au moment
où j'écris rien n'est encore joué, tant pis pour ceux qui se sont rendormis
tranquilles. Un long texte publié le 18 mars 1999 par "Le Quotidien du
Médecin" rapporte le contenu de la conférence donnée à Cambridge par Jacques
Benveniste pour présenter l'état d'avancement de ses recherches. Le lieu,
le Cavendish Institute, était aussi prestigieux que le nom du savant ayant
lancé l'invitation : Brian Josephson, Prix Nobel de physique 1973 à l'âge
de 33 ans. Et comme le remarque, en terminant, Vincent Bargoin, l'auteur
de l'article : " Josephson recevant à Cambridge Benveniste était un signal
qui avait de l'allure".
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